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La Cité Saint-Pierre accueille le plus pauvres

A #Lourdes, la Cité Saint-Pierre accueille le plus pauvres

Bâtie sur les hauteurs de la ville mariale, la Cité Saint-Pierre accueille les pèlerins en situation de précarité. Quarante ans après sa fondation, l’aventure continue de plus belle. Premier épisode de notre série de Carême sur la charité en actes.

Le Carême permet d’entrer au désert avec Jésus pour en ressortir plus vivant le matin de Pâques. « Viens et suis-moi », nous invite-t-Il. Serons-nous ces disciples qui L’accompagnent au Golgotha, Lui portent sa croix et Lui essuient le visage ? « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait », nous dit-Il. De toute rencontre avec le pauvre naît donc un face-à-face avec le Christ.

Ainsi, cherchant à rencontrer le Christ, l’Église a toujours développé un amour préférentiel pour les anawim, terme hébreu désignant, davantage que la pauvreté matérielle, les courbés, les humbles, les petits qui ne peuvent faire valoir leurs droits. La solidarité déployée ne s’inscrit pas dans une culture de bienfaisance mais dans une culture de charité, cet amour de Dieu au nom duquel nous aimons notre prochain comme un frère, redonnant à chacun la place qui lui est due. Imitant Jésus venu pour servir et donner sa vie, son disciple est d’abord invité à se donner dans la rencontre, à aimer en acte et en vérité… puis à se faire le « serviteur inutile » à travers qui Dieu agit. Il en résulte, comme le dit le pape François dans son message de Carême, que « le pauvre Lazare nous apprend que l’autre est un don, […] un appel à nous convertir ».

Au cours des six numéros qui nous mèneront à la Semaine sainte, Famille Chrétienne présentera des associations et des initiatives qui tentent d’aller « au cœur des pauvretés » et d’accompagner les victimes de la précarité. Une sélection non exhaustive parmi des œuvres de charité dont la multitude illustre bien que « l’amour est inventif jusqu’à l’infini » (saint Vincent de Paul).

Anne-Claire de Castet

À Lourdes, dit-on, les malades sont rois. Il fallait que les « pauvres » le soient aussi. Bernadette Soubirous, bergère illettrée, ouvrit la voie. C’est pour respecter son vœu que Jean Rodhain fonda la Cité Saint-Pierre en 1955. « C’est une cité bleue accrochée à la colline », chanterait Maxime Le Forestier en découvrant cette ruche joyeuse dans son cirque de verdure, surplombant la capitale mariale.

Dans la vie, il y a des hauts et des bas. À Lourdes aussi. « Il y a le bas – le sanctuaire –, et le haut – la Cité Saint-Pierre – : ces deux lieux se complètent et sont inséparables », résume Gonzague Amyot d’Inville, 40 ans, son directeur depuis quatre ans. La Grotte, c’est le Ciel qui visite la Terre ; la Cité, c’est la Terre qui accueille le Ciel et ses « pauvres » : les pèlerins les plus modestes, les personnes les plus précaires. Et tous ceux qui ne peuvent s’offrir l’hôtellerie (l’ancien bourg de 15 000 habitants compte 255 hôtels – juste après Paris et avant Nice – pour 6 millions de visiteurs par an).

La ville des malades… et des pauvres

Ce 1er février 2017, Lourdes est une ville morte. Magasins et hôtels ont baissé leurs volets de métal. « Ce n’est pas la grève, non. Seulement le grand sommeil avant le réveil de la saison », dit l’une des rares commerçantes à ouvrir un œil et son échoppe.

En revanche, là-haut, ça bouge. Perchée à flanc de colline, avec ses multiples pavillons disséminés dans un cadre qui bruit de silence, sous la houlette des Pyrénées enneigées, la Cité Saint-Pierre grouille. On y célèbre, ce jour, le 40e anniversaire de la mort de Mgr Jean Rodhain, fondateur du Secours catholique. Après l’eucharistie matinale, deux cents personnes grimpent en pèlerinage vers sa tombe, creusée à l’ombre d’une réplique de la bergerie de Bartrès, où Bernadette gardait les moutons. De ce promontoire, Mgr Rodhain laisse tomber en cascade sa prière jusqu’à la Grotte et ses pèlerins.

Repères

  • 67 000 bénévoles et 4 000 équipes locales Le Secours catholique est une des plus importantes associations caritatives de France.
  • 40 salariés et 1 200 bénévoles travaillent à la Cité Saint-Pierre. Selon les mois, entre 20 et 150 bénévoles y sont réunis.
  • 430 personnes peuvent y loger.
  • 10 % (l’hiver) à 90 % (l’été) : le taux d’occupation varie selon la saison.

« Des malades, rien que des malades et de la souffrance », se lamentait Émile Zola. L’écrivain était-il monté à la Cité ? Elle n’existait pas encore, dommage. « Pour moi, ici, c’est le paradis ! », confie une dame accueillie qui, depuis la mort de son mari, vient chaque année prier pour lui aux pieds de Marie. Au self, une dizaine de migrants albanais partagent une table avec deux hommes de la rue, tandis qu’un groupe de jeunes s’éclipse pour descendre à la Grotte.

Depuis soixante ans, la Cité brasse des pèlerins de tous bords et de tous ports. « Nous avons le désir que des publics différents se rencontrent – comme c’est le cas avec nos bénévoles qui viennent du monde entier, dit Gonzague Amyot d’Inville. Nous souhaitons que ce soit aussi un lieu de vacances spirituelles pour les familles, et qu’il permette à des jeunes de découvrir la charité. »

« Cette Cité est une folie ! », reconnaît l’entreprenant directeur. « Accueillir des personnes pauvres ou modestes, au lieu même de naissance du Secours catholique, fut une intuition formidable mais un peu folle », confirme Christophe Henning, l’un des biographes de Jean Rodhain. Les pauvres « ont faim de vrai pain car ils sont des hommes, et soif de vraie lumière car ils ont une âme », assurait le « marathonien de la charité ». Accueillir « gratis pro Deo » : un projet utopique ? Impossible n’est pas Rodhain. « Comme à l’accoutumée, il fonce et réduit tous les obstacles pour mener à bien son dessein », poursuit Christophe Henning. Il n’a peur de rien et achète un immense terrain. La première pierre de la Cité est posée le 1er août 1955.

Intuition formidable, et folie

Oui, la Cité est une folie, Jean Rodhain l’écrit lui-même : « Nous avons risqué cette entreprise insensée : bâtir sans magasin ni commerce. » Le 8 septembre 1956 a lieu sa bénédiction solennelle par Mgr Pierre-Marie Théas. L’évêque de Lourdes s’exclame : « Jusqu’en 1956, la pauvreté était exclue de la grâce du pèlerinage à Lourdes, non par décret épiscopal, mais par le fait d’impécuniosité ; aujourd’hui, grâce au Secours catholique, non seulement la pauvreté est admise, mais – à Lourdes – elle est privilégiée. »

Les comptes de la Cité bleue sont constamment dans le rouge : les dons libres – l’obole de la veuve, louée par Jésus – des personnes accueillies ne couvrent que 40 % des dépenses. Via de généreux donateurs, la Providence compense. « Cette Cité est non seulement une folie, mais un miracle ! », s’exclame Gonzague en ôtant ses fines lunettes et en fixant le ciel avec un sourire reconnaissant.

« Il n’y a pas d’étrangers ici : il n’y a que des frères et sœurs, déclare Marcel, un bénévole “avé l’accein”. Attention, ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de “frittages” parfois : on n’est pas encore au paradis ! Mais “étranger” est un mot que je n’ai jamais entendu dans cette école d’humanité. » Où voit-on un patron d’entreprise faire la plonge avec un SDF ? « J’ai un ami très b.c.b.g. – style chaussures bateau – qui est venu passer des vacances à la Cité avec sa famille car il s’était brutalement retrouvé au chômage », raconte Étienne, un bénévole de Nantes, qui “écluse” ses RTT en venant ici respirer le grand air et “sniffer” la joie du service. « Cette famille nombreuse a partagé un appartement avec une autre famille nombreuse : des “gens du voyage”… Deux mondes, en apparence, totalement étrangers. Au début, mon ami faisait la “tronche”. Quand il est parti, sept jours, plus tard, il m’a confié qu’il n’aurait jamais pu vivre une telle expérience ailleurs. Surtout, qu’il avait partagé avec ce père de famille les mêmes exigences quant à l’éducation des enfants. Je suis certain que cet homme du voyage aurait pu dire la même chose… »

Les bénévoles portent, suspendue à un cordon autour du cou, l’inscription « J’ai besoin de toi ». « Je suis venue pèlerine, je suis revenue comme bénévole », dit Éliane, une grande femme avec un accent béarnais à couper (une tomme) au couteau. En ajoutant : « Allez, on va au lit ! » Devant mon air interloqué, elle explique : « Rassurez-vous ! C’est notre expression, entre bénévoles, pour dire que c’est l’heure d’aller faire les lits… »

Comme plusieurs, Éliane confie : « La Cité a changé ma vie, elle a renouvelé ma foi. » « Les personnes découvrent un autre visage de l’Église, confirme Gonzague Amyot d’Inville. C’est, pour beaucoup, un chemin de consolation, de conversion, de retrouvailles avec Dieu. Des clichés tombent, des blessures cicatrisent. C’est la grâce de l’accueil et du partage. »

Le vrai miracle de Lourdes

« On voit des pèlerins arriver fermés, centrés sur leurs difficultés, leurs douleurs. Au fil des jours, ils s’ouvrent, puis commencent à sourire, constate Véronique. Je résumerais volontiers notre “charte” d’accueillant par ces quatre mots : prévenance, confiance, transparence, confidence (et discrétion !). » Élisabeth raconte : « Après trois semaines de bénévolat, je rentre à la maison, dans la région parisienne, et je vais au supermarché. Je m’étonne de voir tant de mines contristées lorsque ma fille me lance : “Arrête de sourire, Maman, t’es plus à la Cité !” ».

« Que les pauvres soient “évangélisés”, c’est peut-être le vrai miracle de Lourdes, s’exclamait le Père Henri Engelmann. Il n’y a pas de place ici pour celui qui ne fait pas cause commune avec ses frères. Lourdes ne serait pas Lourdes sans ses malades et ses pauvres. » Or « nos frères, c’est ce peuple des précaires, ceux que la société oublie, néglige, abandonne », insiste Véronique Fayet, présidente du Secours catholique depuis 2014.

Cette Bordelaise énergique est la première femme nommée à la tête de cette institution d’Église. La militante rappelle une conviction trop oubliée de Mgr Rodhain : « Son action s’est toujours nourrie de sa contemplation. C’est d’une grande actualité : notre action ne peut être performante, efficace, adaptée, si nous ne sommes pas enracinés dans la vie spirituelle, la prière… Ce n’est pas une obligation personnelle : c’est tout le Secours catholique qui veut et doit s’enraciner, de plus en plus, dans la spiritualité. »

Une immense croix domine la Cité Saint-Pierre. À ses pieds, on ne peut que méditer les mots de son fondateur : « Auprès de la Croix, Marie est là, et elle se tait. Le silence est parfois le langage de la véritable charité. La contemplation de la Source de toute charité est la première source de toute charité. Notre-Seigneur n’a pas distribué de brochures ni de manuels à ses disciples pendant la Passion. Savoir fermer les yeux. Savoir se taire. Savoir la prière du silence. » C’est cette prière qui fit le colosse de Rodhain. C’est elle qui bâtit la Cité Saint-Pierre et continue de la faire vivre.

« Méfiez-vous du succès »

« Il y a foule à Rome. Les pèlerins sont contents. C’est un succès pour l’Église. Donc, méfions-nous, écrit Jean Rodhain lors d’une Année sainte. Le succès temporel n’est rien si l’on ne garde pas les yeux ouverts sur un autre royaume. C’est la seule route, cette route de la Croix. Le Christ l’ayant choisie et ayant sauvé le monde avec, il serait étonnant que des disciples restent ses véritables disciples en pratiquant le contraire. Le Vendredi saint n’a pas été un succès. Les trois années de prédication n’ont pas été un triomphe. […] Le succès n’est pas la méthode de l’Évangile. »

Le fondateur du Secours catholique avait inventé cette prière : « Seigneur, apprenez-nous à ne pas confondre la limite de nos dons et l’illimité de vos multiplications. Apprenez-nous à ne pas confondre notre humaine arithmétique avec votre ineffable charité et ses incalculables secrets. » Il disait aussi : « Si les disciples d’Emmaüs n’avaient pas eu le geste charitable d’inviter à dîner l’inconnu du chemin, ils n’auraient pas eu le pain partagé et l’éblouissement du Seigneur “reconnu”. Il y a des cas où un acte de charité conduit à la source de la charité. »

Alors qu’on le traite d’« anti-communiste réac », il répond : « Traitez-moi de réactionnaire. Je veux bien. En ces temps d’avions à réaction, c’est une forme de progrès que de savoir encore réagir. »

L. A.

Mort aux curés !

Vous voulez vraiment une société « laïque de chez laïcs » ? Osons quelques propositions : commencez par raser les cathédrales, les églises et les calvaires. Cela nettoiera le paysage : il ne restera plus que les éoliennes et les pylônes. Les touristes apprécieront – là, ça commence à tiquer puisqu’on touche au portefeuille. Poursuivons néanmoins ce grand vide sanitaire.

Supprimez les saints du calendrier – et donc vos prénoms –, ainsi que les jours fériés liés aux fêtes religieuses – ici, ça coince carrément : on touche aux congés.

Enfin, fermez les officines comme le Secours catholique, Emmaüs, ATD Quart-Monde, Aux captifs la libération, AED, Magdalena – et j’en passe. Leurs fondateurs sont des « curés » : Jean Rodhain, Henri Grouès, Joseph Wresinski, Patrick Giros, Werenfried van Straaten, Jean-Philippe Chauveau…

On leur aurait coupé la tête en 1792, ils l’ont échappé belle. Heureusement pour les millions de personnes que la société « laïque » laisse sur le carreau : mal-logés, prisonniers, prostituées, chômeurs, alcoolos, toxicos, handicapés, chrétiens persécutés, – etc. là, silence glacé : qui n’a pas un proche qui a bénéficié de l’aide d’un « curé » ?

Merci d’arrêter la curée, et de laisser au moins à la France dénudée ce qu’elle a de meilleur : le génie du christianisme, celui de la charité.

L. A.

Luc Adrian, avec Catherine Soudée

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