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Une semaine décisive pour l’Eglise

Les 115 cardinaux électeurs, de moins de 80 ans, se retrouvent chaque jour en compagnie des cardinaux plus âgés, pour réfléchir ensemble et préparer le conclave dont, sauf coup de théâtre, l’ouverture aurait lieu lundi prochain. Aucune personnalité ne s’impose vraiment, pour le moment le choix est très ouvert, c’est sans doute la « manière d’être » et le charisme d’un des cardinaux, sa « sainteté » autrement dit – et certainement pas sa couleur ni ses compétences managériales – qui convaincront les électeurs de lui confier la barque de Pierre en ces temps de tempête. Un parfum d’Evangile est attendu au cœur de l’Eglise universelle. Le Secrétaire d’Etat désigné par le nouveau pape aura la mission de réformer la Curie romaine. Des noms circulent déjà, comme possibles « premier ministre » de tel ou tel papabile…

Le cardinal Jean-Pierre Ricard, archevêque de Bordeaux, se fraie un chemin au milieu des micros tendus à l’entrée du Vatican. « Nous prenons le temps de l’échange, et les problèmes de fonctionnement internes très médiatisés ne nous font pas oublier les exigences de la nouvelle évangélisation dans les diverses cultures ; quant au vote pour la date du conclave, cela viendra plus tard, en milieu de semaine probablement », dit-il sereinement, précisant que ce sera sa première expérience d’une élection pontificale dans la Chapelle Sixtine, comme d’ailleurs pour le cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris. Les conseils du cardinal « protodiacre » Jean-Louis Tauran, grand diplomate bordelais présent à la Curie romaine depuis longtemps, leur seront très précieux. Spécialiste du dialogue avec les musulmans, surnommé ces jours-ci à Rome « le faiseur de pape », c’est à lui que reviendra cette fois la responsabilité d’annoncer le nom du successeur de Benoît XVI, la semaine prochaine, depuis le balcon de la basilique Saint-Pierre. En attendant, depuis lundi matin les cardinaux, anciens et nouveaux, se réunissent en « Congrégations générales », dans la salle du Synode, près de la basilique Saint-Pierre, afin de débattre sur les défis que l’Eglise doit relever, et discerner en leur âme et conscience pour qui ils voteront pendant le conclave. C’est par continent que se déroulent les interventions, sans que les 5000 représentants des médias déjà accrédités puissent en savoir beaucoup plus puisque les cardinaux ont prêté serment de discrétion absolue. « Les journalistes souffrent ces jours-ci parce qu’ils ne reçoivent pas de nouvelles », a reconnu avec regret le cardinal Christoph Schönborn, dominicain, archevêque de Vienne, lors d’une célébration qu’il présidait récemment dans la basilique San Bartolomeo. Il est le chef de file des rénovateurs, comme avant lui le cardinal Carlo Maria Martini mais à la différence que lui demeure doctrinalement très fidèle à son maître Benoît XVI. « Le message le plus important que nous avons à donner est que l’Eglise est vivante », a-t-il ajouté, exaltant le témoignage des martyrs qui ouvrent le chemin de la foi y compris pour leurs persécuteurs. L’allusion était à peine voilée à ce que le pape aujourd’hui « émérite » vient de traverser, trahi par son entourage et pas seulement par son majordome…. A la sortie de l’église un converti de 36 ans, d’origine asiatique, confiait avec sincérité : « le peuple de Dieu souhaite un pape en qui pourront s’identifier ceux que l’impérialisme culturel américano-européen écrase, sinon l’islam d’une part, et les sectes de tout poil, finiront par éteindre la foi catholique ». « Il faudrait projeter aux cardinaux le dernier film de Tarantino, Django, pour leur mettre les points sur les i et tourner enfin le dos aux vieilles habitudes du passé occidental », soupire encore ce jeune professionnel nouvellement engagé dans la foi, qui pense au sacerdoce. « De fait, comme le conclave de 1978 avait permis d’élire un pape aimé des ouvriers, brisant ensuite le mythe communiste, celui de 2013 pourrait faire surgir une personnalité capable de révéler une Eglise proche des victimes de la crise du capitalisme, une Eglise qui soit fidèle à sa doctrine sociale, à l’Evangile, et non pas aux mains des banquiers », commente un vieux journaliste « vaticaniste ». Actuellement les plus organisés en vue du conclave semblent en tout cas être les cardinaux nord-américains, se déplaçant toujours ensemble dans un petit bus Mercedes, bien décidés à en découdre avec la Curie romaine pour remettre de l’ordre et de la transparence, comme ils l’ont fait dans leurs diocèses respectifs après les affaires de pédophile sacerdotale. Ils n’imaginent pas l’élection de l’un d’eux, qui associerait de manière désastreuse l’Eglise à une grande puissance, même si le cardinal O’Malley, sympathique capucin barbu, disciple de saint François d’Assise, a le vent en poupe. Soutenus financièrement par le lobby des Chevaliers de Colomb, ils recherchent une entente avec d’autres cardinaux afin de « peser » au moins une quarantaine de voix, ce qui correspond à la minorité de blocage nécessaire pour faire basculer le conclave au cours duquel deux tiers des 115 voix seront requises pour imposer un nom. « Nous n’avons pas besoin d’un shériff » aurait répliqué un des futurs électeurs à l’intention du cardinal Timothy Michael Dolan, l’archevêque de New York, « la capitale du monde » selon l’expression de Jean-Paul II. Les conciliabules entre différents « clans » se poursuivront encore quelques jours, la décision de la date du conclave n’étant pas encore connue. Tous s’accordent pour « un conclave rapide qui témoignerait de l’unité de l’Eglise », et ils ont adressé un télégramme au pape émérite, le remerciant pour « l’exemple » qu’il leur a donné « d’une généreuse sollicitude pastorale pour le bien de l’Eglise et du monde »… Mardi il manquait encore cinq électeurs à l’appel, en route pour Rome, dont le cardinal chinois et le cardinal vietnamien. Mercredi après-midi les cardinaux ont prévu de prier ensemble, avec les fidèles, dans la basilique Saint-Pierre, tandis que la Chapelle Sixtine est maintenant fermée aux visiteurs pour les travaux d’installation préparatoires au conclave. Jeudi les Congrégations générales reprendront leur rythme, animées par le doyen du Sacré Collège des cardinaux, l’ancien Secrétaire d’Etat de Jean-Paul II, le cardinal Angelo Sodano, dont on dit qu’il pousse en avant le cardinal argentin d’origine italienne Leonardo Sandri, préfet de la Congrégation pour les Eglises orientales, au moins comme futur Secrétaire d’Etat. La crainte des tenants de « l’ancien régime » qui ont gouverné la Curie de façon autocratique, sans communiquer en vérité avec le collège des cardinaux, serait de voir revenir au gouvernement central de l’Eglise Mgr Carlo Maria Vigano, actuel nonce à Washington, principal dénonciateur des pratiques obscures qui ont entaché la fin du règne de Benoît XVI. Il se murmure en effet que cet incorruptible « résistant » serait nommé Secrétaire d’Etat si l’intransigeant cardinal québécois Marc Ouellet, préfet de la Congrégation pour les évêques, devenait le 266ème successeur de l’apôtre Pierre. Il est le favori des observateurs, même si l’adage se vérifie souvent : « qui rentre pape au conclave en sort cardinal »…

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