Comme au temps de saint François
C’est la première fois dans l’histoire de l’Eglise qu’un cardinal chinois participe à l’élection du pape. Le cardinal John Tong Hon, né en 1939, est arrivé mercredi et a prêté serment lors de la quatrième Congrégation générale réunissant les cardinaux cette semaine à Rome. Désormais les 115 électeurs sont presque rassemblés, les deux derniers qui manquent encore à l’appel étant attendus ce jeudi, dont le cardinal vietnamien Jean-Baptiste Pham Minh Mân.
« Un président des Etats Unis noir, et un pape chinois », disait-on sans y croire il y a vingt ans, comme si cela ne pouvait arriver que dans un siècle… Aujourd’hui un tel scénario planétaire est très réaliste, d’autant que, pour l’Eglise, l’Asie est le continent de l’avenir. Cette mondialisation de la foi catholique ne permet pas à tous les cardinaux de bien se connaître, et certains vont actuellement sur Wikipedia pour découvrir les profils de leurs confrères… Comment pourraient-ils entrer rapidement au conclave dans ces conditions ? « Les cardinaux ont besoin de temps, ils veulent se préparer à l’élection sérieusement, sans être sous pression », explique le Père Federico Lombardi, directeur de la Salle de Presse du Saint-Siège. Aussi la date de l’ouverture du conclave n’est pas votée à ce jour, et il se pourrait qu’elle soit fixée à la fin de la semaine prochaine.
Un bras de fer se déroule actuellement car « le clan des italiens » chercherait à faire vite pour s’assurer le contrôle du gouvernement de l’Eglise. Les manœuvres iraient même jusqu’à une réconciliation entre eux, en faveur du cardinal Angelo Scola, le seul cardinal italien en mesure de l’emporter avec au moins 77 bulletins, les deux-tiers des voix, ce qui est nécessaire et suffisant pour être élu avec l’appui des latino-américains menés par le cardinal Leonardo Sandri, d’origine argentine, allié du cardinal Sodano, l’octogénaire doyen du Sacré Collège des cardinaux.
Angelo Sodano, qui anime les Congrégations générales, a dépassé l’âge pour entrer au conclave, mais il compte bien tirer les ficelles jusqu’au bout. Mercredi il a réussi à empêcher les cardinaux américains de continuer à organiser une conférence de presse quotidienne, au prétexte de faire respecter la discrétion, cherchant surtout à marquer sa volonté de coordonner toutes les opérations jusqu’à l’élection pontificale, où il sera relayé, dans la Chapelle Sixtine, par le cardinal Giovanni Battista Re. Lors du précédent conclave les méthodes pour s’assurer des voix ont été douteuses, et les langues se délient peu à peu : d’anciens électeurs, qui ont refusé des « offres » pour les bonnes œuvres parlent maintenant dans les coulisses. La foi de tout un chacun est mise à rude épreuve, comme purifiée par le feu.
Les cardinaux des autres pays ne comptent pas se laisser faire, et l’issue du scrutin est plus que jamais incertaine. Comme pour apaiser les tensions et favoriser un climat de fraternité difficile à trouver, une prière publique était organisée mercredi après-midi dans Saint-Pierre de Rome, à l’initiative du cardinal Sodano, présidée par le cardinal Angelo Comastri, archiprêtre de la basilique papale. Le collège cardinalice y était convié pour réciter le chapelet, adorer le Saint-Sacrement, et chanter les Vêpres.
Jeudi, matin et après-midi, les échanges en Congrégations générales reprennent. « Le problème que nous avons, avoue un cardinal, c’est que les non-électeurs, ceux qui ont dépassé les 80 ans, participent à plein, ce qui retarde et parasite beaucoup nos échanges… ». Il n’est pas facile de parler des exigences de la nouvelle évangélisation aujourd’hui, des rapports entre le Saint-Siège, les dicastères, et les épiscopats, en présence de cardinaux émérites qui désirent influencer les débats. C’est d’ailleurs un point important de l’enquête secrète qui a fait suite aux affaires internes du Vatican dévoilées dans la presse : les « émérites » se mêlent de tout et créent la « zizanie ». Le cardinal Sodano par exemple, ancien Secrétaire d’Etat de Jean-Paul II, a tout fait pour compliquer la mission de son successeur, le cardinal Bertone, fidèle à Benoît XVI et « camerlingue de la Sainte Eglise » en ces jours de Sede vacante. Tous deux sont obligés de travailler ensemble à la table de présidence des Congrégations générales, un peu comme si en s’éloignant Benoît XVI leur avait imposé cet exercice d’unité, pendant le Carême… « Le prochain pape devrait commencer par interdire à tous les cardinaux de plus de 80 ans de résider à Rome », soupire un prélat en poste à la Curie romaine depuis près de vingt ans. « L’exemple que donne le pape émérite de se retirer dans un monastère, laissant les loups à leurs querelles, devrait les faire réfléchir ».
Ainsi, le geste de Benoît XVI n’a pas fini d’inspirer des changements dans les habitudes. Par ailleurs, et surtout, son successeur ne sera pas un pape-roi, il aura de l’avis de beaucoup d’électeurs la mission de faire travailler les gens ensemble, en interne et au plan universel. « Ce sera un homme d’unité, qui fera la synthèse des pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI, avec comme tâche principale de favoriser une plus grande synodalité dans l’Eglise, c’est-à-dire plus de transversalité dans les rapports, plus d’écoute et de mise en commun, et des décisions concertées », souligne un observateur italien, ami de plusieurs cardinaux.
Déjà une cinquantaine de cardinaux se sont exprimés en Congrégations générales, non pas par continent comme certains le souhaitaient, mais à tour de rôle, selon l’ordre des demandes de parole. Ils ont en moyenne cinq minutes chacun. Ce qui ressort beaucoup, c’est le désir que la Secrétairerie d’Etat soit remise à sa place. Durant trente ans elle a été toute puissante, Jean-Paul II lui ayant délégué le gouvernement pendant qu’il voyageait dans le monde, et son successeur trop âgé n’a pas réussi à rectifier la situation. Si Paul VI avait donné tant d’importance au Secrétaire d’Etat, son Premier ministre, c’était pour contrebalancer le Saint-Office à l’époque omnipotent, l’actuelle Congrégation pour la Doctrine de la foi, mais il veillait personnellement à tout, avec l’expérience d’avoir été Substitut de la Secrétairerie d’Etat. Maintenant l’heure est venue, dit-on à Rome, de réformer ce fonctionnement qui ne laisse aucune place aux différents dicastères, ou ministères, dont la quarantaine de responsables ne sont jamais réunis en « conseil »…
Le doyen du Collège des cardinaux risque de concentrer, dans sa position de premier plan durant ce pré-conclave, toutes les doléances de l’Eglise, et de voir l’élection de son plus farouche opposant depuis quinze ans, le lumineux cardinal Christoph Schönborn, archevêque de Vienne. Si les papabili les plus en vue, les cardinaux Ouellet, Scola, et le brésilien Scherer, créent un choc irréductible entre leurs partisans durant le conclave, l’outsider autrichien pourrait bien en effet entraîner un consensus majoritaire comme Wojtyla en 1978. Après être allé en pèlerinage à Assise dimanche dernier, avec sa famille spirituelle, les Petites Sœurs de l’Agneau, il déclarait lundi dans la communauté Sant’Egidio, connue pour son engagement auprès des plus pauvres : « l’Eglise sera régénérée comme au temps de saint François ».
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