Il y a 30 ans, Maradona faisait une apparition à Lourdes
Il y a trente ans, le dieu du ballon rond faisait une apparition à Lourdes pour honorer une promesse. Un pèlerinage qui a marqué les protagonistes de cet événement d’anthologie.
Dissimulé derrière des lunettes de soleil fumées et une visière de casquette rabaissée, lorsqu’El Pibe de oro pose le pied sur le tarmac de l’aéroport Tarbes-Ossun-Lourdes, c’est un premier miracle. Ce sacré pèlerin en provenance de Naples a été attendu comme le Messie durant de longues heures d’incertitude. Adepte des signes de croix et des génuflexions sur les terrains du monde entier, Diego Maradona n’est pourtant pas venu fouler la pelouse du stade Béguère. Fervent croyant, le dieu du ballon rond est venu se recueillir pour honorer une promesse faite à son épouse deux ans auparavant : remercier la Vierge de la naissance de leur fille.
La visite initialement officieuse va prendre des allures officielles. «D’habitude, les visiteurs illustres arrivaient et repartaient de manière discrète. Cette fois-là, j’ai été averti par le préfet, mais c’était un honneur et surtout un bonheur», se souvient l’ancien maire de Lourdes Philippe Douste-Blazy, venu accueillir en personne le prodige du football argentin accompagné de sa femme Claudia, de leur fille Dalma-Lourdes et de son ancien coéquipier et ami Carlos Bianchi. Deux légendes du sport français complètent l’équipe du comité d’accueil : Hubert Arbes, ancien lieutenant de route de Bernard Hinault, ainsi que Jean-Pierre Garuet, ancien rugbyman international et récent adjoint aux sports. «Quand il a vu ma trogne, il m’a dit que ça ne l’étonnait pas que je sois joueur de rugby ! Il m’avait d’ailleurs vu jouer à Buenos Aires en 1985, quand on était en tournée avec l’équipe de France. Moi, je l’avais vu rater un penalty et, du coup, réussir une belle pénalité, face au TFC en 1986», explique «Garruche».
En attendant le contrôle des bagages par les douaniers, alors que ses hôtes font les cent pas, ceux de Maradona ne tiennent pas en place. «Dans la petite salle où l’on attendait, il ne pouvait pas rester statique. On aurait dit qu’il était sur des ressorts. À un moment donné, il a trouvé une petite balle d’enfant et il s’amusait à faire des jongles. Il lui faisait faire ce qu’il voulait. Le voir d’aussi près faire ses gammes, je me suis régalé», se remémore celui qui a escorté le joueur comme une «maire poule».
Un dieu vivant parmi la foule
En pénétrant dans la cité mariale, l’auteur de la «Main de Dieu» ignore qu’en cette veille de Pâques, son cheminement pour palper la roche suintante de la Grotte va se transformer en un chemin de croix. Prévenu par l’imprésario du joueur, une meute de paparazzis et de journalistes attend le petit cortège sous les arches du Sanctuaire, soucieuse de fixer l’instant de dévotion sur pellicules. Comme une traînée de poudre derrière une star, les flashs des appareils photos vont attiser la curiosité des pèlerins. «Il y avait beaucoup d’Italiens qui l’ont immédiatement reconnu car il était une idole à Naples où il jouait. Dans le tumulte de cette scène surréaliste, on a entendu s’élever au milieu de la foule un premier «Maradona» timide. Puis de plus en plus fort et clair, crescendo. C’était incroyable», se remémore encore impressionné Jean-Pierre Garuet.
Si les voies du Seigneur sont impénétrables, l’agitation et la crainte de bousculades transforment le vœu de piété du champion du monde en un vœu pieux. Malgré son imposante carrure, l’ancien rugbyman haut-pyrénéen d’1,77m tente en vain de s’improviser garde du corps du footballeur d’1,65 m. «Je n’avais jamais vu ça. Certaines personnes étaient en adoration devant lui. Ils voulaient le toucher. D’ailleurs, sur les photos d’époque, mon regard trahit ma stupéfaction.»
Parmi la foule des grands jours réunis en ce dimanche ensoleillé, Jean-Louis Amella, alors journaliste à Lannemezan, était venu prier avec son épouse enceinte. «Ça courait dans tous les sens autour d’un groupe. J’ai vite compris qu’il se passait quelque chose. J’ai interpellé un confrère qui m’a expliqué. Mais on ne le voyait pas, il était trop petit.» Il se souviendra pourtant toute sa vie de cette rencontre fortuite avec Maradona. «Ma femme a accouché la nuit qui a suivi. On a regretté de ne pas lui avoir donné Diego comme deuxième prénom», en rigole-t-il. «Mais il est devenu un fervent supporter de l’Argentine.»
Pour un pèlerinage éclair
Face à cette situation piétinant l’intimité de sa foi, l’étoile du football argentin s’est alors muée en une étoile fuyante. «On ne pouvait plus avancer. On a essayé de le planquer mais il a préféré rester sur le côté et on a donc été obligés de faire demi-tour», détaille Jean-Pierre Garuet. Ne marchant pas sur l’eau, Maradona est obligé de s’isoler seul sur l’autre rive du gave, devant l’hôpital Bernadette. Bien qu’un prêtre se soit penché vers lui pour lui faire une confidence, rien n’a pu infléchir sa décision. Une décision qui ne lui valut pas les bonnes grâces de certains confrères de l’époque, titrant sur un caprice de «diva» (voir encadré). Marc Duthu évoquera également dans les colonnes du journal «Sud-Ouest» la réaction épidermique du joueur. «Quand d’autres auraient remué ciel et terre, juré de tous les noms pour qu’on les laissât enfin tranquilles, Maradona répondit par une simple colère rentrée. Boudeur est le dieu des stades».
Pour Jean-Pierre Garuet, lui-même d’éducation chrétienne, il ne s’agissait en aucun cas de la manifestation d’une forme d’arrogance ou d’un signe de mécontentement ostensible. «Même s’il était habitué aux mouvements de foule autour de sa personne, il ne s’attendait pas à en provoquer un dans ce lieu saint. C’est un homme qui était habité d’une véritable foi. Se trouver à même pas 50 m de la Grotte, ne pas pouvoir la toucher et s’y recueillir, ça l’a déçu et attristé», explique l’ancien pilier du FC Lourdes. À l’écart, assis sur le parapet, derrière les bancs des fidèles, il s’est contenté de regarder de loin sa femme enceinte et sa fillette faire leurs ablutions et prier devant le rocher. «Il était heureux qu’elles aient pu y aller.» Après être resté un peu moins d’un quart d’heure à l’intérieur des Sanctuaires, Diego Maradona, deux bonbonnes d’eau bénite sous les bras, a repris le chemin de l’aéroport. «Avant qu’il ne reparte, je l’ai supplié de s’arrêter cinq minutes au stade Lannedarré pour saluer les 550 enfants qui y disputaient un tournoi de foot. Mais son emploi du temps minuté, ajouté au fait qu’il était de mauvaise humeur après s’être disputé avec un journaliste italien de «La Gazzetta dello Sport», lui a fait décliner mon invitation. Mais rien que de savoir que leur idole était présente à quelques kilomètres de là, pour ces jeunes, c’était déjà magique», se remémore Philippe Douste-Blazy. Quelques années plus tard, alors ministre des Affaires étrangère, leurs chemins se sont à nouveau croisés. «On a évoqué son séjour lourdais et il s’en souvenait très bien. Malgré toutes les péripéties de cette journée, on a beaucoup ri. Mais, pour moi comme pour lui, ça demeure un souvenir merveilleux.» Les souvenirs des moments passés aux côtés de ce «petit personnage agréable et toujours en mouvement» restent également profondément gravés dans la mémoire de Jean-Pierre Garuet, il les évoque avec son œil pétillant et sa moustache frétillante. «Finalement, on n’a pu discuter qu’à l’aéroport et dans la voiture parce que, partout ailleurs, il était sollicité et on n’avait plus eu un moment à nous. Avec la visite du pape Jean-Paul II, c’est une rencontre qui m’a profondément marqué.» Au-delà des photos et des coupures de presse, il conserve une autre trace tangible. «Durant et après ma carrière, j’ai croisé beaucoup de personnalités de premier rang, mais c’est le seul auquel je me suis permis de demander qu’il me signe un autographe.»
En 1995, lors de la remise à Paris d’un ballon d’or récompensant l’ensemble de sa carrière, l’Argentin avait annoncé une nouvelle visite à Lourdes pour remercier la Vierge. Si El Pibe de oro n’a toujours pas remis un pied en terre bigourdane, la foule des dévots du ballon rond prie dans l’espoir d’une nouvelle apparition de leur messie.
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