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Lourdes, la source au creux du rocher

Beaucoup de monde connaît les apparitions de #Lourdes. Le mot « Lourdes » évoque guérisons, miracles, messes et processions ; un haut lieu de la tradition catholique. Mais il convient de se replonger au cœur de l’événement fondateur, et de se rappeler en même temps le rôle que Lourdes a tenu, et peut tenir encore, dans la vie chrétienne de la France.

Au commencement, il n’y a rien qu’un trou noir dans le rocher au bord du Gave. Trois gamines sont arrivées là un jour d’hiver, le 11 février 1858. Elles cherchent de quoi ramasser et vendre ensuite aux chiffonniers pour nourrir la soupe de midi. Elles voient, face à elles, « une vraie mine de bois et d’os ». Deux d’entre elles ont vite fait de traverser le canal qui les en sépare. La troisième, Bernadette, doit à tout prix éviter de réveiller son asthme en plongeant ses pieds dans l’eau froide ; il faudrait l’aider, mais les deux autres ne s’en soucient guère. Elle se prépare donc à se déchausser, quand elle entend par deux fois « un bruit comme un coup de vent »… « Et le souffle de Dieu s’agitait au-dessus des eaux… » (Gn 1, 2) C’est un nouveau monde qui commence. C’est notre monde, replié sur lui-même, qui reçoit la visite d’« En-Haut ».

Au fond du trou noir du rocher, Bernadette voit alors une lumière, qui peu à peu prend visage : une jeune fille, « aussi jeune et aussi petite que moi », 1,40 m à 14 ans. C’est le début d’une série de 18 rencontres, sous le signe de la Croix. Bernadette, saisie d’abord par la peur, esquisse un signe de croix, mais son bras s’arrête en route, et la dame lui fait faire un beau geste de prière, « au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ». Le sens est donné à toute l’histoire de Lourdes, et d’abord à la vie de Bernadette.

Les premières apparitions se déroulent dans la joie de la rencontre, Bernadette a promis de venir pendant quinze jours. Elle ne sait pas qui est cette dame. Quand elle lui a demandé son nom, elle s’est contentée de sourire en l’invitant à revenir. Elle lui a promis le bonheur, « non pas en ce monde, mais dans l’autre », le monde de la vérité, le monde de l’amour. C’est bien ce que Bernadette éprouve dans cette série de rendez-vous. Mais bientôt, elle doit faire ces gestes surprenants de creuser la boue jusqu’à trouver une flaque d’eau sale qu’elle boit et avec laquelle elle se barbouille ; elle doit même manger de l’herbe…

« La dame était si triste, on aurait dit qu’elle portait sur elle toute la misère du monde ! » Elle m’a dit : « Pénitence ! Pénitence ! Pénitence ! Priez Dieu pour la conversion des pécheurs. » À la suite de Jésus, de Marie, de tous les saints, Bernadette se met à la place des pécheurs, nous tous qui avons abandonné la belle stature des enfants de Dieu, « le bel agenouillement droit d’un homme libre », pour nous retrouver à quatre pattes comme les bêtes. Mais au fond de la boue, il n’y a pas la boue, il y a la source, au fond du péché, il y a le pardon, au bout de la mort, il y a la résurrection et la vie.

La source jaillit du côté droit du rocher, « et le rocher, c’était le Christ » (1 Co 10, 4). Sur le rocher, on pourra construire. « Allez dire aux prêtres qu’on bâtisse ici une chapelle, et qu’on y vienne en procession. » L’Église est bâtie sur le Christ, et elle doit le suivre sur la route. Le rocher, dans la Bible, au livre de l’Exode, accompagne les Hébreux sur le chemin qui va de l’esclavage à la liberté (Ex 17, 5-6 ; Nb 20, 7). La chapelle sera cette famille Église, appelée sans cesse à porter de nouveaux fruits.

Son modèle et sa mère, c’est cette petite dame au creux du rocher, petite Marie de la grotte de Nazareth ou de Bethléem et de la grotte de Lourdes. Marie, mère de Jésus, qui se nomme enfin : « Je suis l’Immaculée Conception », reprenant l’expression du dogme défini par le pape Pie IX en 1854. L’Église doit être cette fiancée sans tache, qui laisse entièrement passer la seule lumière du Dieu qui se donne. Elle le conçoit pour le monde, précisément en ce 25 mars, jour que Marie a choisi pour révéler son nom à Bernadette. Elle n’existe que pour cela, à chaque génération, enfanter le Christ. Telle est la vérité et la mission de l’Église.

Bernadette elle-même devient toute transparente de la lumière qui lui est confiée. Le 7 avril, mercredi de Pâques, l’apparition dure si longtemps que Bernadette n’a plus entre les mains la cire du cierge, mais la flamme : elle devient cierge pascal, un autre Jésus pour le monde. Et elle pourra enfin faire sa première communion le jeudi 3 juin, jour de la Fête-Dieu : c’était bien pour cela qu’elle était revenue du petit village voisin de Bartrès au mois de janvier. Marie a été sa catéchiste !

Grâce à Bernadette, Marie peut continuer à faire le catéchisme à tant de visiteurs et pèlerins. La France entière s’est rendue à Lourdes lors du grand pèlerinage national d’octobre 1872, quand les bannières de toutes les provinces sont venues au sanctuaire, entourant celles venues d’Alsace et de Lorraine, voilées de noir, perdues à l’issue de la guerre de 1870. Les Pères Assomptionnistes, dès l’année suivante 1873, ont voulu renouveler l’expérience de façon plus modeste, mais en amenant, en train, des malades. C’est alors que les guérisons, déjà signalées au temps des apparitions, se multiplièrent…

Peu à peu, Lourdes s’organise pour accueillir les multitudes. D’une part les statues de Marie et les grottes de Lourdes se multiplient dans le monde, jusque dans les jardins du Vatican, grâce notamment aux missionnaires français, si nombreux ; et d’autre part, on vient à la grotte de partout. Spontanément, s’organisent les bains aux piscines, les processions du Saint-Sacrement, les processions aux flambeaux en l’honneur de Marie, complétant les démarches habituelles du pèlerinage : confessions, chemins de croix, messes.

Pèlerinages diocésains et nationaux, congrès eucharistiques et marials, pèlerinages des jeunes ou des anciens, des hommes, des femmes, de divers mouvements, des anciens combattants et prisonniers ; et de nos jours, Foi et Lumière, Lourdes Cancer Espérance… La liste est sans fin. Soulignons seulement le geste de consécration de la France à Marie, repris à la grotte chaque année le 15 août, en mémoire de l’acte accompli par le roi Louis XIII en 1638, dont Notre-Dame de Paris garde mémoire.

Indiquer le chemin de Bernadette aux enfants perdus de notre monde

En même temps, Lourdes ne peut pas vivre de l’acquis. La ville subit aussi les contrecoups de la crise de la foi en notre France rurale, à laquelle l’Église avait si bien su s’adapter. Nos églises de campagne sont souvent vides, et les trains de pèlerinages se vident aussi. Et pourtant combien de personnes viennent ici chercher une source d’espérance. Il nous faut savoir indiquer le chemin de Bernadette aux enfants perdus de notre monde. Le jubilé de la Miséricorde est particulièrement adapté à ce lieu qui nous fait prendre rendez-vous au pied de la croix de Jésus, avec Marie et le disciple, avec Marie Madeleine et les femmes qui seront au tombeau vide, et accueilleront la Bonne Nouvelle de la résurrection.

Bernadette a poursuivi sa route, en devenant sœur de la Charité de Nevers, où elle a reçu l’emploi de la prière, l’emploi d’aide-soignante, et finalement l’emploi de malade. Le mercredi de Pâques 1879, à l’âge de 35 ans, elle quitte ce monde en serrant son crucifix sur son cœur : « Mon Jésus, oh que je l’aime !… Priez pour moi, pauvre pécheresse. » Notre vocation, comme la vocation de Bernadette, c’est bien de ressembler à Marie, l’Immaculée Conception !

Père André Cabes – Recteur du sanctuaire de Lourdes

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